J'ai qu'un mot en tête depuis le retour de Verbier : REVANCHE !!
6h30. Le départ et la première ascension ont été tranquilles, non pas faciles car c'est quand même 800D+ mais je me suis forcé à rouler doucement et bien chauffer pour prendre mon rythme. Du coup, je me suis pas mal fait doubler. Parti avec le dossard 1607 aux 2/3 du pack c'est sur je n''allais pas être en tête au premier col ! L'approche est humble face à cette épreuve mythique, l'objectif est surtout de finir.
Première descente vers la Tzoumaz et tout de suite je me rends compte de ce que cela va être : des descentes rapides, larges sur chemin caillouteux, chaque virage étant précédé des vaguelettes de freinage... Ma DT m'énervait déjà à dribbler, mais j'avais besoin d'elle sur les 100km qui restaient. Donc descente à mach 2, freinages de trappeurs et relances tranquilles pour pas casser le matériel. J'ai été surpris par la longueur et la pente de certaines sections de descente. Un passage herbeux en dévers très pentu en traversant une piste de ski du coté de Mendaz semble avoir été fatal à un concurrent inanimé sous une couverture de survie
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ça calme.... Je passe alors que l'hélicoptère atterri.
Une fois chaud j'ai appuyé comme d'habitude, en en gardant sous la pédale pour la distance (une erreur!) mais sans trop perdre de temps, sans faire trop chauffer les cuisses dans les relances et forts pourcentages... ne pas perdre de temps dans les ravitos, profiter des faux plats pour s'alimenter et surtout passer des concurrents avant les sections techniques. Jusqu'à Mendelon (5ème ascension & 75km) j'ai été bien, j'aurai peut-être du appuyer un peu plus mais je ne le savais pas encore...
Arrivé sur l'alpage il y a cette longue section de single avec de nombreuses pierres et rochers trialisants sur un chemin poussiéreux. A ce moment là l'expérience CCW sert à fond ! j'ai pas mal doublé car le niveau technique des concurrents était assez faible, du moins ceux avec qui je roulais. Clic clac photos puis descente vertigineuse vers Evolène. A deux reprises je freine après le panneau "trop tard" et suis obligé d'élargir ma trajectoire vers l'herbe, les buissons... j'ai plié un piquet en bordure de chemin ! (je me rendrais compte des éraflures plus tard
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Beaucoup de passages poussiéreux où mes Race King n'ont pas fait merveille au freinage, mais ils étaient bien utiles pour le rendement en montée sur bitume (deux fois 8km)... A plusieurs reprises je dois laisser de la distance en descente par rapport aux autres concurrents pour y voir clair. Sans vouloir être présomptueux, je dois dire que je me suis ennuyé une bonne moitié du parcours en montée, surtout jusqu'à Evolène et le km 90. Il y a cependant de beaux passages typiques dans les hameaux aux maisons de bois, des paysages splendides... et l'ambiance est excellente avec les spectateurs qui scandent ton nom ! (inscrit sur la plaque de cadre) Ils encouragent d'ailleurs plus ceux qui sourient et je crois que j'ai eu le sourire les 2/3 du parcours tant j'étais heureux d'être là.
Eison (km 100) en vue, le ciel se couvre et on entend tonner, ça sent pas bon... les orages prévus à 16h sont en avance. à plusieurs reprises les officiels le long du parcours me disent que ce sera interrompu. Qu'importe ! C'est le moment d'appuyer et d'envoyer du lourd.
Arrivé au ravito il pleut. J'avale une barre et quelques morceaux de fromage pour récupérer en sel & m'engage dans la montée vers le mythique Pas de Lona avec manchettes et coupe vent. Le froid d'avant pluie est déjà là. C'est le monde du silence et des gouttes de pluie... D'ailleurs, toute la journée a été silencieuse. Les concurrents parlent très peu, et blaguent encore moins, (moi qui avait envie de déconner, "elles sont où les pompom girls non de dieu ?!")
La montée est aussi longue qu'il fait froid.. je croise de plus en plus de dossards jaunes (spécifique à la distance reine depuis Verbier) qui font demi tour pour abandonner... mes doigts s'engourdissent petit à petit, je sens l'eau qui coule le long de mes bras et de mon dos quand je me mets en danseuse. Je n'ai pas le droit de m'arrêter. Devant moi un coureur est en manche courtes ; je ne sais pas comment il fait ! J'ai froid, je suis trempé, pourtant je m'interdis de penser à abandonner tant que ce mec est là à avancer devant moi. Les jambes tournent, c'est le cadet de mes soucis. J'en suis réduit à ne plus changer de vitesses, incapable de bouger les pouces. mes doigts sont blancs... je dépasse le panneau 20km, le Pas approche ! pour changer de rythme et soulager les douleurs aux fesses je tente quelques mètres en danseuse : impossible, mes mains ne bougent plus du tout et m'appuyer dessus me fait remonter des coups d'électricité assez désagréables. Pour enlever les mains du guidon je les glisse le long des poignées à gauche et à droite. Je n'ai pas le droit de m'arrêter, ma femme et ma fille m'attendent à Grimentz et il me faut basculer au Pas pour les rejoindre.
Avant dernière épingle du chemin, je passe des concurrents frigorifiés qui font demi tour, 20.. 30 bientôt 40.. j'arrête de compter. Arrivé sur l'alpage, il n'y a plus d'arbres et le vent s'ajoute à la pluie, je m’arque-boute je ne céderai pas ! Mes chaussures sont pleines d'eau et je ne sens plus mes doigts de pied, qu'importe les jambes, elles, tournent.. Je ne fais plus attention à ne pas rouler sur les deux coulées d'eau du chemin, à quoi bon... Je pense à tout ce que j'ai fait depuis un an pour être là, aux sacrifices et cette longue préparation.
Dernière épingle, encore 5km puis j'arrive à l'A Veille, le dernier ravito avant le Pas, J'espère un bouillon pour me réchauffer et repartir mais c'est une vision d’apocalypse qui m'accueille : des coureurs blottis sous les tentes dissimilées par le brouillard et la pluie. Les tentes sont bondées de coureurs enveloppés de couvertures de survie, le regard hagard.. J'abandonne le Storck contre un rocher. L'orga, complètement dépassée, me guide avec deux flamants et un Italien vers une cabane de berger en bois où 4 fêtards ont passé la nuit précédente. Ils nous accueillent dans leur... 6 m² de fortune chauffés par un poil à bois... Il m'est impossible d'enlever les gants tant mes doigts sont paralysés. Au bout de deux minutes à 12° mes jambes me lâchent et je tombe.
Il est 15h40. la course est neutralisée. j'ai fait 107 km et 4610 D+.
Dans la cabane, nous avons passé une demi heure à tenter de ne plus grelotter les uns contre les autres. Nous devons une fière chandelle à ces jeunes, accueillant et joviaux, ils nous on même fait un bouillon, même si n'ai pas pu le tenir en mains du fait des tremblements. Puis il a fallu remettre les fringues mouillées pour descendre à vélo en groupes ( dont un éclaireur connaissant le chemin direction de St Martin). 25 min de descente toujours dans cette pluie, dans ce froid. Ces sensations de T° qui s'élève à mesure qu'on perd de l'altitude, quel bonheur ! A St martin, où je retrouve mon comparse Lionel, un bus convié par l'organisation du Grand Raid nous a conduit en 1h45 à Grimentz, les vélos empilés sur un camion benne. (Fin de l'aventure....)
Une fois à Grimentz on remonte sur les vélos pour rejoindre nos femmes, séance de démontage des vélos pour les faire rentrer dans le coffre et... enfin passer des fringues sèches.
Ma femme me voit grelotter en démontant les vélos et me demande si ça va, je lui réponds doucement : "t'en fais pas va, là il fait pas froid... vraiment pas froid...."
Voici mon grand Raid avorté, je sais que j'avais ce qu'il fallait pour le finir.... j'ai pas eu le choix...
Comme dit Tonio : "La haute montagne est toujours la plus forte, elle a ses règles"
La sécurité est enfant d'humilité.